Ce colloque a pour ambition d’explorer les formes prises par la bédéphilie dans les supports périodiques, que ce soient les revues spécialisées sur la bande dessinée, les revues de bandes dessinées mais aussi la presse généraliste — journaux quotidiens, magazines d’information généraliste ou revues consacrées à des sujets autres que la bande dessinée.
Lire de la bande dessinée, aimer la bande dessinée étaient jusqu’au début des années soixante des marqueurs culturels infamants. La « légitimation » de la bande dessinée est un processus récent, au long cours et aux logiques plurielles. Une de ses formes privilégiées sur la durée fut la multiplication des espaces d’expression sur la bande dessinée. À partir des années 1960 en France, la constitution des premiers mouvements bédéphiles et la montée progressive d’une sensibilité « jeune » dans la culture quotidienne des Trente Glorieuses contribuèrent à faire graduellement de la bande dessinée un objet de discussion et d’appréciation esthétique, un espace d’expression avant-gardiste et contestataire, de moins en moins un objet de diabolisation. Dans le sillage de cette mutation culturelle se multiplièrent les écrits sur la bande dessinée, dans la presse généraliste périodique, dans les grandes revues de bandes dessinées et dans les revues spécialisées sur la bande dessinée. C’est tout un corpus de littérature secondaire sur le moyen d’expression qui s’est ainsi constitué en plus d’un demi-siècle et reste insuffisamment exploité à ce jour.
L’ambition du projet MEDIABD est de donner une visibilité scientifique aux discours publiés dans les revues spécialisées sur la bande dessinée depuis un demi-siècle par leur référencement et leur indexation précise dans une base de données ad hoc. Plus largement, le but du projet est d’analyser comment, à partir des années soixante, les discours diabolisants sur ce moyen d’expression cédèrent la place à des textes reflétant la constitution, confidentielle d’abord puis de plus en plus rapide, d’une nouvelle sensibilité culturelle, la bédéphilie. Étudier ce pan de la littérature secondaire sur la bande dessinée permet d’analyser par quelles voies ce moyen d’expression, les pratiques et les jugements de valeurs produits à son propos ont subi un processus de « normalisation », « naturalisation » dans le répertoire des pratiques culturelles moyennes, au point de se rapprocher progressivement de ses deux précurseurs les plus proches dans la consommation culturelle grand public, à savoir la littérature et le cinéma.
À partir des années soixante, les revues bédéphiles de toutes natures prolongèrent d’une part une longue histoire de la « petite » édition périodique culturelle (la small press des domaines littéraires et artistiques dans le monde anglo-saxon), d’autre part une histoire plus récente de l’édition périodique « philique », production à mi-chemin entre les univers amateur et professionnel, structurée autour de « hobbys » n’ayant pas encore accédé à la dignité implicite dont bénéficie l’engagement en faveur d’avant-garde de domaines artistiques « consacrés ». Une trame chronologique rudimentaire de l’édition périodique philique pourrait débuter au XIXe siècle avec les premières revues sur la photographie et se poursuivre avec celles consacrées au cinéma et au jazz (1re moitié du XXe siècle), puis aux littératures policières et de science-fiction (après-guerre), pour arriver à la bande dessinée et aux musiques pop/rock seulement à l’orée des années soixante.
Les revues spécialisées sur la bande dessinée constituent un domaine spécifique au sein de la bédéphilie, dans la mesure où elles fonctionnent comme un espace d’expression pour « spécialistes » depuis lequel connaissances et débats se diffusent vers d’autres amateurs, vers les médias, vers des segments du grand public. Aux États-Unis, une histoire de ces revues a été esquissée par Bill Schelly, via l’histoire des réseaux de fans dans les années soixante et 70 ; mais là aussi, l’analyse serrée de la bédéphilie spécialisée sous forme périodique reste à faire. Quelques revues marquantes ont eu l’honneur d’articles rétrospectifs sur le mode nostalgique, essentiellement dans d’autres revues bédéphiles : Phénix remémoré dans Les Cahiers de la Bande Dessinée par Th. Groensteen en 1985, Le Kiosque de Jean Boullet présenté dans Le Collectionneur de Bandes Dessinées par M. Denni en 1998. Si le corpus des principales revues bédéphiles est depuis longtemps recensé dans l’argus Trésors de la bande dessinée BDM, il faut encore mener à bien leur dépouillement et, comme c’est l’ambition de MEDIABD, une indexation permettant de rendre visibles les axes de force à l’origine des discours sur la bande dessinée qui se sont constitués dans les pages de ces revues depuis plus d’un demi-siècle. En parallèle reste à découvrir toute une production de fanzines à petit tirage et à diffusion surtout locale, dont la diversité reflète les états de la bédéphilie hors des « scènes bd » des métropoles culturelles nationales.
Dans un deuxième cercle, les écrits bédéphiles tels que chroniques, critiques et articles historiques à l’intérieur des revues de bandes dessinées de statuts très divers (pour enfants-ados franco-belges dans Tintin et Spirou ou adulescents post-68 dans Charlie Mensuel, par exemple) manifestaient la transmission en direction de publics élargis de discours sur la bande dessinée qui circulaient jusqu’alors seulement parmi les auteurs, éditeurs et amateurs éclairés. Le site bdoubliees.com a permis un travail de repérage préliminaire de ces types de contenus mais ils n’ont à ce jour fait l’objet d’aucune analyse approfondie.
Dans un troisième cercle enfin, les discours sur la bande dessinée trouvaient peu à peu droit de cité dans les périodiques d’information généraliste ou spécialisés hors BD comme autant de témoignages de la pénétration dans la sphère publique d’une nouvelle sensibilité à un moyen d’expression longtemps marginalisé socialement et culturellement.
Dans le bouillonnement actuel des recherches universitaires sur la bande dessinée, le projet MEDIABD cherche à mettre fin au paradoxe que constitue l’angle mort de la recherche qui fait que les ressources sur la bande dessinée publiées en support revues restent insuffisamment exploitées alors même qu’elles constituent un corpus d’informations considérables sur la réception des bandes dessinées au fil du temps, sur les auteurs, les événements et, en elles-mêmes, sont des sources primaires à prendre en compte dans tout regard diachronique porté sur les divers pans constitutifs de la bédéphilie au sens large.
Le colloque « La bédéphilie en revues » se proposera d’explorer le phénomène dans l’Europe francophone et d’autres aires linguistiques et géographiques. Le bornage chronologique principal s’étend du pivot des années soixante à l’époque actuelle, sans exclure néanmoins des manifestations du phénomène antérieures à la seconde moitié du XXe siècle.
- Fanzines et prozines, locaux et nationaux : modes de production, contenus, rapports avec les « scènes bd » locales, pratiques et trajectoires des concepteurs de revues sur la
- Catalogues de libraires, d’éditeurs, de diffuseurs
- La bédéphilie dans les revues de bande dessinée (rubriques spécialisées, annonces, courriers des lecteurs,
- La bédéphilie dans la presse non spécialisée (journaux quotidiens locaux ou nationaux, presse d’information généraliste, revues spécialisées hors bande dessinée) : articles ponctuels, rubriques BD, numéros « spécial BD »,
- Bédéphilie en revues et expressions minoritaires : perspectives féminines / féministes, LGBTI, ethniques.
Lieu : Le colloque aura lieu à l’auditorium du musée.
Date : 17-18 juin 2021
Langue : Les communications seront présentées en français ou en anglais.
Date limite d’envoi des propositions : Date limite d’envoi des propositions de communication : 30 novembre 2020. Merci d’adresser vos questions à Jean-Paul Gabilliet jpg@u-bordeaux-montaigne.fr.
Contact : Propositions de 300 mots maximum et notice biographique de 100 mots en français ou anglais à adresser à :